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vendredi 7 juin 2013

Tintin VS Astérix




Chose promise chose due. Voici donc Astérix et Tintin réunis le temps d'une rubrique  dans  laquelle le diablogueur va enfiler le costume d'astérixologue-tintinologue et comparer les deux héros. Passons rapidement sur les similitudes: la langue et aussi le succès dont il a été question dans un article précédent (le 14 avril). Penchons-nous plutôt sur les différences qui sont nombreuses et intéressantes. En premier lieu, on en trouvera une fondamentale dans le style de bédé, plus réaliste chez Tintin et plus comique chez Astérix. Du point de vue graphique, c'est évident si on compare n'importe quelle vignette de 2 séries.


Uderzo et son héros gaulois sont plus proches de la caricature alors que Hergé se rapproche davantage du réalisme avec ses personnage aux silhouettes plus élancées. À gauche, l'école de Bruxelles et sa majestueuse ligne claire dont Hergé est le principal représentant et à droite, le graphisme de maître Uderzo qui s'apparente davantage à l'école de Marcinelle avec son style "gros nez". Pour ce qui est du scénario, on observe la même situation. Ainsi Hergé donne la priorité à l'histoire par rapport aux gags tandis que Goscinny travaille plutôt à l'inverse. Voici un document où les auteurs eux-mêmes s'expliquent à ce sujet.


Une autre différence et pas des moindres réside dans l'absence quasi totale de références dans Tintin alors que les albums d'Astérix en sont truffés aussi bien culturelles, linguistiques qu'historiques. Ce manque de références confère à l'oeuvre de Hergé un statut d'intemporalité qui fait que l'âge, la nationalité ou le niveau culturel du lecteur importent peu pour la bonne compréhension des aventures du célèbre reporter. Mis à part quelques rares repères géographiques, difficile de situer la majorité des albums dessinés par Hergé dans l'espace ou dans le temps. Par contre, chez le concurrent gaulois, on est prévenu dès la 3ème page, "nous sommes en 50 avant Jésus-Christ" et cela nous est répété à chaque fois pour éviter toute distraction. On peut remarquer que tout au long des 50 ans d'existence de la bédé gauloise, on est imperturbablement en 50 av. J-C comme si le temps s'était arrêté, ce qui aurait bien plu à notre bon Jules qui fut assassiné 6 ans plus tard. Grâce à Goscinny et Uderzo, le grand Jules est devenu immortel. Mais revenons à nos moutons, comme il est impossible de dresser une liste de toutes les références ou allusions en tous genres dont regorge la bédé française par excellence, voyons quelques exemples. Commençons par les références historiques qui sont parfois d'énormes anachronismes comme, par exemple, ces quelques cases de l'album Astérix en Corse dédiées à un Corse illustre: Napoléon Bonaparte. Allez-y, essayez de trouver.



D'abord notons "une grande armée" en rapport à la Grande Armée de Napoléon, ensuite "les grognards" qui sont comme chacun sait les soldats vétérans de l'armée de l'empereur (Napoléon pas César, anachronisme!) et puis pour les plus calés "le sommeil d'Osterlix", jeu de mots avec l'expression le soleil d'Austerlitz, célèbre bataille commencée au lever du soleil et remportée par Napoléon. À propos de jeux de mots, il y en a probablement des centaines dans les albums d'Astérix car Goscinny en était très friand. Livrons deux exemples qui sont autant de références culturo-musicales avec les vignettes suivantes qui vont nous permettre de retourner à l'île de Beauté et dans lesquelles entre en scène le personnage principal de cette aventure corse, j'ai nommé Ocatarinetabelatchitchix, rebaptisé, par erreur et par Astérix, Omarinella... 



Les connaisseurs auront reconnu deux titres de chansons d'un autre Corse illustre à savoir Tino Rossi dont nous reparlerons en septembre (ce sera le 30ème anniversaire de sa mort). Voici les deux morceaux ( pour les paroles cliquez ici  Tchi Tchi et Marinella).




Concluons avec les références probablement les plus compliquées pour les lecteurs d'Astérix non francophones, les linguistiques qui sont généralement des jeux de mots très difficiles à traduire, il y en a foison et de toutes les sortes que ce soit dans la langue de Voltaire ou en opposition avec d'autres langues des contrées que nos amis gaulois visitent. Par exemple, la Belgique:





Dans ces vignettes, tous les personnages belges parlent le "belge" (français de Belgique). On reconnaîtra des expressions  ("donner une baise", "tirer son plan", "tout le bazar") ou des constructions (utiliser ça à la place de ce ou encore "ça te faut pas faire le fou avec moi" = tu ne dois pas faire...) typiquement belges. Autre exemple, avec l'album Astérix chez les Bretons où c'est la langue de Shakespeare qui est objet de railleries comme on peut lire dans les cases suivantes.



Les références linguistiques propres au français (de France) sont évidemment les plus nombreuses. Il s'agit principalement de jeux de mots, calembours et autres boutades langagières que Goscinny appréciait au plus haut point. C'est l'humour au second degré auquel Hergé fait mention dans la vidéo ci-dessus et qu'il pratiquait peu dans ses planches. Si nous faisons une comparaison cinématographique, Hergé serait plutôt Buster Keaton ou Charlie Chaplin tandis que Goscinny serait le fils spirituel de Groucho Marx ou W.C. Fields. Voici quelques-uns de ces jeux de mots goscinniens mémorables.


Dans l'album Le domaine des dieux, jeu de mots entre "Numide" et "humide", et entre "sèchement" (= sec opposé de humide) et "sèchement" (= durement, avec froideur).


Dans Astérix en Hispanie, calembour avec les mots "hiver" et "ibère".


Dans Le bouclier Arverne, outre les allusions à l'accent auvergnat, c'est un beau virelangue qui nous est offert (Salut la société! ...).


Dans Astérix et les Normands, après une référence à la peur qui donne des ailes, véritable fil conducteur de l'album, on termine sur une belle anaphore qui fait sourire (Par Thor! Par Odin! ...). Si vous en voulez encore, je vous renvoie sur le site Stéphane Rivière qui a réalisé un formidable travail de fourmi en analysant dans le détail l'oeuvre de Goscinny et Uderzo. À la prochaine, par Toutatis!