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lundi 30 avril 2012

Tintin et le racisme


Hergé était-il raciste? Voilà la question la plus récurrente que le créateur de Tintin a dû supporter durant toute sa vie et, même après sa disparition en 1983, les suspicions et les reproches ne cessèrent aucunement. Ainsi on peut affirmer que,  dans les milieux non bédéphiles, Hergé est plus célèbre pour les accusations de racisme et les procès que pour son œuvre. Qu’en est-il exactement ? En premier lieu et à sa décharge, l’auteur de Tintin eut le tort d’entretenir des relations trop étroites avec certaines personnalités ultra-catholiques ou ultra-conservatrices de son pays. Même s’il ne sympathisa jamais avec ses mouvances politiques, il ne renia jamais aucun de ses amis même ceux qui s’égarèrent sur les chemins de la droite extrême car voilà le génial dessinateur était extrêmement fidèle en amitié. Ainsi il resta fidèle à celui qui fut son mentor au début de sa carrière, le père Wallez, jusqu’à sa particulière descente aux enfers après la guerre (procès, emprisonnement). En revanche il sut aussi prendre ses distances avec certaines connaissances peu recommandables comme Léon Degrelle, le fondateur et dirigeant du mouvement Rexiste, un parti politique belge proche de Hitler et compagnie. Puis il y a eu son oeuvre analysée et disséquée dans ses moindres replis jusqu'à trouver la faute, la gaffe malencontreuse...et il y en eut malheureusement. À une époque où le politiquement correct n'était pas de mise, Hergé s'emmêla les pinceaux principalement dans deux albums, Tintin au Congo et L'étoile mystérieuse.

Lorsque Tintin au Congo paraît dans Le Petit Vingtième en 1930, Hergé ne peut échapper à la mentalité paternaliste et colonialiste de son époque (il a à peine 23 ans) et encore moins à la volonté de son employeur Norbert Wallez qui souhaite que l'aventure congolaise de Tintin soit un instrument de propagande coloniale. Il faut encourager la jeunesse belge à aller travailler au Congo. Hergé obtempère sans faire d'histoires, ses préoccupations sont plutôt d'ordre professionnelle ou artistique que morale ou éthique. Le résultat, ce sont des vignettes qui font un peu grincer les dents ...





Dans l'album remanié et en couleur de 1946, l'auteur rectifia quelque peu le tir mais pas suffisamment au vu des nombreuses plaintes et procès qui se sont succédé depuis. L'autre album sur lequel est pointé le doigt inquisiteur de la critique, c'est L'étoile mystérieuse, jugé anti-sémite. Il est vrai que le méchant de l'histoire est un banquier véreux qui répond au nom de Blumenstein et que les Juifs n'y sont pas très sympathiques. Observez les vignettes suivantes et jugez vous-même ...




Là où le bas blesse sérieusement, c'est que ces planches sont publiées en 1941 dans un journal belge contrôlé par les Nazis. Hergé aura beau corriger la gaffe dans la nouvelle version définitive en couleur (les Juifs des 1ères planches ayant disparu et Blumenstein devenant Bohlwinkel), le mal est fait.

Doit-on en conclure qu'effectivement Georges Remi était raciste? Non car notre homme est plus complexe et paradoxal que cela. D'abord, Hergé a créé un héros qui est un grand voyageur et comme chacun sait voyage et racisme marient mal. Ensuite dans d'autres albums, Hergé eut la bonne idée de prendre la défense de certains peuples opprimés (Chinois, Indiens et Gitans). Voici des vignettes appartenant aux albums Le Lotus Bleu, Le Temple du Soleil et Les Bijoux de la Castafiore ...



Finalement Hergé en a tellement bavé qu'il va tomber dans l'autocensure systématique. Pour preuves, ces quelques vignettes de l'album Coke en Stock dans lequel Tintin et Haddock délivrent un groupe d'Africains faits prisonniers par des misérables négriers. Observez les changements introduits entre la 1ère version parue dans le journal et l'édition définitive pour l'abum. Les Africains réalisent des progrès saisissants en français et Haddock éliminent de ces jurons toutes références à la couleur noire (anthracite).



En guise de conclusion, ajoutons la meilleure preuve du "non-racisme" de Hergé, l'amitié tendre et sincère qui le lia toute sa vie à Tchang Tchong Jen. Tout aussi sincères seront les remerciements du diablogueur à tous les élèves qui ont assisté à la conférence sur Tintin du 26 avril dernier à l'EOI d'Oviedo et les félicitations aux heureux gagnants du concours Mme Carmen García et M. Javier Escudero.



 

10 commentaires:

  1. Racisme & Tintin

    L’étoile mystérieuse :
    Cette aventure de Tintin publié entre octobre 1941 et mai 1942, c’est-à-dire, au moment où sont publiées en Belgique les lois antijuives les plus répressives. Tandis qu’une étoile apparaît dans le ciel, un prophète annonce la fin du monde. Devant le magasin Lévy, deux juifs se frottent les mains car, grâce à cette catastrophe, ils ne devront pas payer leurs dettes.

    Deux expéditions se livrent une « guerre » pour arriver en premier à l’endroit où est tombé le météorite. Le navire commandé par le capitaine Haddock comprend un Allemand et des alliés de l’Allemagne. L’autre porte un drapeau américain. Cette rivalité symbolise assez clairement la Deuxième guerre mondiale. Et Tintin a choisi son camp. D’autant que l’expédition américaine est financée par le banquier juif Blumenstein (un homme avec un «nez proéminent»). Surprenant, aussi : le fait de mettre une étoile dans le titre de l’album, à une époque où les juifs doivent en porter une sur leur veste…

    C’est vrai que dans les versions ultérieures, Blumenstein perd son nom et devient Bohlwinkel, mais Bohlwinkel est aussi un nom juif (même s’il est moins reconnaissable que Blumenstein) et il y a aussi certains traits comme son nez proéminent, des lèvres gros... (un stéréotype si offensant que le présenter comme avide d’argent, de pouvoir et agent d’un complot international)
    À mon avis, si Hergé n’était pas un nazi, il était un antisémite, ou un lâche. En effet, le fait de publier ses planches dans un journal contrôlé par les Nazis, ça ne justifie pas son attitude! Il avait pu dessiner une autre chose que des juifs avaricieux, à cette époque-là, quand des juifs étaient persécutés et assassinés en Europe (le camp de Dachau fut mis en service le 31 mars 1933 sur l’ordre de Himmlerl. Ce camp fut tout d’abord le lieu d’internement des opposants politiques, mais il accueillit également par la suite des juifs de Bavière à partir de 1941. Ce n’était pas un secret).
    Voilà la explication donné par Hergé à la fin de se justifier:
    J’ai effectivement représenté un financier antipathique sous les apparences sémites, avec un nom juif: le Blumenstein de L’étoile mystérieuse. Mais cela signifie-t-il antisémitisme?... Il me semble que, dans ma panoplie d’affreux bonshommes, il y a de tout: j’ai montré pas mal de "mauvais" de diverses origines, sans faire un sort particulier à telle ou telle race. On a toujours raconté des histoires juives, des histoires marseillaises, des histoires écossaises. Ce qui, en soi, n’a rien de bien méchant. Mais qui aurait prévu que les histoires juives, elles, allaient se terminer, de la façon que l’on sait, dans les camps de la mort de Treblinka et d'Auschwitz?... A un moment donné, j’ai d'ailleirs supprimé le nom Blumenstein et je l’ai remplacé par un autre nom qui signifie, en bruxellois, une petite boutique de confiserie: bollewinkel. Pour faire plus "exotique" je l’ai ortographié Bohlwinckel. Et puis, plus tard, j'ai appris que ce nom était, lui aussi, un véritable patronyme israélite! (2)
    (2) Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, 1971, p. 75.

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  2. Merci infiniment à Teresa pour sa judicieuse contribution. Un grand débat va-t-il être lancé...?
    Je l'espère. Alors n'hésitez pas, laissez votre avis quel qu'il soit!

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. Peut-être que R.G. était tout ce dont on l’accuse, c’est-à-dire, antisémite, misogyne, raciste, etc. où peut-être n’a-t-il fait que montrer ce qu’il a vécu, respiré dans son entourage mélangé avec sa propre fantaisie. Il ne faut surtout pas sortir les ouvres de leur contexte historique, sinon on risque de taxer tous les auteurs de meurtriers, pédophiles, violeurs, et cetera. Dans ce monde du politiquement correct on n’essaie d’anéantir que l’expression des sentiments qui sont d’ailleurs tout à fait palpables, réels, de quelques communautés envers d’autres. Pourvu qu’on ne l’exprime pas on peut penser ce que l’on veut. On s’efforce de nettoyer la saleté de la surface ; peu importe si la merde demeure dans le fond !

    Voici un lien qui me semble fort intéressant :
    http://blogres.blog.tdg.ch/archive/2007/11/25/herg%C3%A9-antis%C3%A9mite.html

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    1. C’est vrai, sortir les ouvres de leur contexte historique c’est un risque. Par exemple, nous ne pouvons pas comprendre la pédérastie dans la Grèce antique (de rapport sexuel entre partenaires de sexes identiques, c’est-à-dire, un homme et un adolescent), mais à cette époque-là ce ménage était une institution. Aujourd’hui je n’ai jamais rencontré personne si ignorant qu’il dise que cette pratique était pédophilie.

      Dire que la sympathie par le nazisme d’Hergé n’est qu’une mauvaise interprétation à cause du temps qui passe, à mon avis, justifie son choix terrible.
      Ni la vie d’Hergé, ni les événements historiques qui l’ont entouré, ils sont si lointains que le lecteur, aujourd’hui, ne soit pas capable de les comprendre dans leur contexte historique.

      Mais l’histoire, elle ne se fait pas toute soule!! Tout le monde décide de faire quelque chose, et l’action décide du résultat. Certaines personnes nagent à contre-courant à la fin de changer des idées et c’est pour ça, que la société devient un petit peu meilleure (le père du abolitionnisme, le premier ministre réformiste, le marquis de Pombal, qui abolit la esclavage en Portugal le 12 de février 1761, Gandhi qui établit des méthodes de lutte des classes comme la grève de la faim en refusant la lutte armée, Mary Wollstonecraft auteur du pamphlet contre la société patriarcale de son temps “Défense des droits de la femme”...).

      Certaines personnes contemporaines d’Hergé, mêlés aussi à une Europe en guerre, plusieurs, elles ont pris des décisions difficiles et dangereuses et maintenant elles ont bien mérité un lieu d’honneur dans la histoire: Miep Gies-Santrouschitz une femme néerlandaise qui cache Anne Frank et sa famille des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, l’ambassadeur espagnol Ángel Sanz Briz à Budapest, qui aide environ de 5.000 juifs en les fournissant des passeports espagnols falsifiés, le diplomate allemand Georg Ferdinand Duckwitz, qui prévient la résistance danoise, l’entrepreneur allemand Oskar Schindler...

      Je ne vais pas exiger Hergé être un héros, cependant son travail était plus facile: ne pas dessiner des idées en répandant le nazisme. Ces idées qui ont fauché la vie de 6 millions de juifs.

      Pendant l’Occupation nazi en Belgique un grand numéro de journalistes et de professionnels de la presse décident de ne pas travailler (les médias du pays sont sous le contrôle total des autorités allemandes), mais Hergé travaille dans une publication clairement au profit des nazis, Le Soir. Hergé est arrêté à quatre reprises et il est accusé de collaborationniste.
      Mars 1973 Hergé dit Dans une interview: « Je conviens que moi aussi j’ai cru que l’avenir de l’Occident pouvait dépendre de l’Ordre nouveau. Pour beaucoup, la démocratie s’était montrée décevante, et l’Ordre nouveau apportait un nouvel espoir ». (Haagse Post)

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  5. Etait-ce illégal d'être antisémite, raciste ou misogyne dans la Belgique des années 30 ? L'est-ce encore et où ?
    Faut-il trouver Tintin minable aujourd'hui maintenant que certains lobbies ont le pouvoir ? Faut-il éplucher le passé de types comme Gotlib, Moëbius, Druillet ou Goossens pour juger de la convenance à lire leurs ouvrages ? Après Céline, qu’en sera-t-il de Voltaire ou Hugo ?
    La merde qui demeure dans le fond, est-ce bien de la merde ? Au nez de qui ?
    La question n'est pas de savoir si tel ou tel est ou était comme ça, mais de savoir pourquoi la pensée commune occidentale a autant changé en se dirigeant toujours dans la même direction. Presque tout le monde est d’accord sans même y avoir réfléchit, sans jamais s’être correctement documenté.
    Si vous voulez mon avis, la pensée du Petit Vingt-et-unième, elle est vraiment unique.
    Franchement, accuser Hergé d’avoir été antisémite misogyne et raciste, ça sert à quoi ?
    Quelqu’un en redemande ?
    « Tintin mon Copain », éditions du Pélican d’Or, année 2000, par Léon Degrelle.
    On en reparle ? A bientôt j’espère, bonne soirée à tous et merci à Hubert pour son blog.
    Adelheid von Banania

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  6. Et si on s'en foutait ?

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  7. OK, ça roule !
    Adelheid von B

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  8. Hergé a sans doute cédé à la tendance malsaine de cette époque, mais il serait bon, néanmoins, de publier son oeuvre originale complète, ne serait-ce qu'à titre documentaire et pour le droit de critique d'un travail de fiction. Interdire des dessins ne sert à rien, voir l'actualité !!!

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